2009 - Texte de Françoise Lonardoni, catalogue exposition Pour Suite.

Bruno Costantini est concentré depuis plusieurs années sur la notion de fiction et d’aventure ; son approche repose sur l’étude critique des paradigmes de ces genres, qu’il réintroduit ensuite dans des images ou des éditions, de manière plus ou moins visible : le héros positif, le road movie, le récit de voyage…

Dans la série Les héros ne meurent jamais l’artiste est photographié dans des costumes et des poses qui concourent à l’édification d’un modèle enfantin de héros : cow-boy, loup de mer, trappeur…

Les accessoires vestimentaires, la pose du corps, l’expression du visage sont adaptés à l’archétype suggéré, de manière si congruente que chaque détail contribue finalement à démentir ce que l’artiste avait construit. Le marin en marinière et bottes de caoutchouc n’est pas très plausible, même si on ne peut en donner la raison. Il en va de même pour l’image du trappeur, mais il est vrai qu’elle exhibe une coupe claire dans la cohérence : le trappeur se tient à côté d’un chalet minuscule, ressemblant à une maisonnette pour enfant.

Cette idée de la supercherie décelable reprend le paradoxe du menteur d’Epiménide, que l’on peut résumer ainsi : un homme déclare "je mens". Si c'est vrai, c'est faux. Si c'est faux, c'est vrai.

Les images de Bruno Costantini ne sont plus limitées à leur fonction iconographique, mais posent la question de leur fonction fondamentale, qui peut être de renseigner sur un sujet, ou d’indiquer qu’elles se conforment au consensus sur ce sujet.

C’est bien l’essence même de la fiction qui est posée et qui est située entre les pôles du plausible (faire croire à la narration) et du fictif (porter à la fois l’ambition de réalité et son affranchissement).

L’aventure est questionnée à travers d’autres aspects du travail, nourrie aux sources littéraires de la Beat generation. Cette passion serait restée un pur effet de style si l’artiste n’avait décidé de la vivre réellement : un séjour solitaire en fin d’hiver dans les montagnes savoyardes, seul dans une cabane, lui a permis d’estimer les difficultés réelles de l’aventure. De cette expérience, il a tiré une nouvelle fois les moyens de décrire l’archétype. Il a imprimé une série de cartes postales de montagne, dont les prises de vues proviennent en partie seulement de son odyssée, les autres ayant été tirées de sites internet.

Mélange des sources et exhumation du modèle, appliqués aux images les plus irréelles qui soient : les cartes postales.

Les livres sont un autre lieu du récit de l’aventure. D’une manière comparable à celle de Tom Phillips dans A humument, (1965) ou au cut up de Burroughs, Bruno Costantini a sélectionné plusieurs livres d’aventure, et en a choisi les pages les plus narratives. À l’intérieur de chaque page, il a conservé les phrases décrivant l’aventure, et a fait disparaître le reste du texte. Ces pages pleines de zones blanches, avec des phrases en flottaison sont entrecoupées de pages d’illustrations, dessinées par Bruno Costantini, se rapportant aux objets-type du western. Car le cinéma est une autre grande source de fascination pour lui, à travers les genres de l’horreur et du western.

Toutes ces formes préexistantes et largement éprouvées sont analysées et réinjectées dans ses œuvres, allant démontrer sans relâche que son travail sur les genres littéraire ou cinématographique se préoccupe de fusionner systématiquement le langage et le métalangage.


Françoise Lonardoni

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